Premiers pas vers l’indépendance

Mario est un petit garçon joyeux et ouvert qui a déjà surmonté bien des épreuves. J’ai eu l’idée de l’inscrire à un groupe de jeu car je voulais qu’il soit en contact avec d’autres enfants du même âge dans notre village le plus tôt possible. Son frère Fabio était déjà passé par là, et il avait adoré jouer avec ses copains.

Mais s’agissant de Mario, mon sentiment était différent… La perspective de m’en séparer pour le confier à quelqu’un d’autre me rendait quelque peu nerveuse. Les animateurs seraient-ils capables de gérer sa maladie? Peut-être manquaient-ils d’expérience?!? Malgré toutes mes incertitudes, je savais que ce changement serait bénéfique pour Mario.

J’ai signalé la maladie de Mario dès son inscription. Nous vivons dans un petit village isolé où tout le monde se connaît. Par conséquent, certains connaissaient déjà Mario, le petit frère de Fabio. A l’époque où Fabio fréquentait encore le groupe de jeu ou le jardin d’enfants, beaucoup avaient déjà remarqué mes allées et venues à l’hôpital pour enfants.

Mario avait naturellement le droit de fréquenter un groupe de jeu et plus tard une école, comme n’importe quel enfant. Cependant, les animatrices du groupe de jeu avaient souhaité me rencontrer en amont pour en savoir plus sur la maladie et surtout sur la procédure à suivre en cas de blessures ou de chutes. Elles n’avaient qu’une connaissance toute relative de l’hémophilie et craignaient que Mario se vide de son sang à la moindre coupure avec des ciseaux ou un couteau. Mais leurs craintes se sont apaisées à mesure qu’elles ont appris à mieux connaître sa maladie. Je leur ai expliqué qu’il recevait des injections préventives et devait être soigné comme n’importe quel enfant en cas de blessure. Quoi qu’il en soit, elles savaient que je volerais rapidement à son secours en cas de problème ou à la moindre incertitude. Et le sac à dos d’urgence de Mario, qui contenait ses médicaments, ne serait jamais loin. Le groupe de jeu se trouvait dans une très vieille maison avec un escalier en colimaçon grinçant en bois. La salle de jeu était située à l’étage supérieur. Les enfants montaient et descendaient l’escalier quatre à quatre. Heureusement, nous avions aussi des escaliers à la maison et Mario savait comment s’y prendre, même s’il ne faut jamais jurer de rien à cet âge.

Puis vint le premier jour de Mario au groupe de jeu… Il fallait lâcher prise, ce qui provoquait chez moi des sentiments mêlés. Cependant, je savais qu’il allait passer un bon moment. D’ailleurs il n’a pas tardé à s’éloigner. Il se sentait en confiance et voulait jouer avec ses nouveaux amis.

Le premier jour, j’ai remis une lettre aux autres parents pour nous présenter brièvement, Mario et moi. En quelques lignes, je leur expliquais aussi la maladie de Mario, afin qu’ils ne soient pas surpris s’il était absent occasionnellement, présentait des ecchymoses ou portait une attelle. Je voulais éviter toute mauvaise interprétation. Il ne s’agissait en aucun cas de pousser leurs enfants à être un peu plus prévenants ou prudents à l’égard de Mario. Quoi qu’il en soit, ils ont toujours fait preuve d’une grande compréhension. Souvent, ils me disaient combien il avait l’air heureux. La maladie passait presque inaperçue. A tel point que la plupart l’ont pratiquement oubliée au fil du temps. Tout le monde aimait Mario comme il était. C’était un sentiment merveilleux, une grande source de motivation. Même quand il devait s’absenter un certain temps, tout le monde était à nos côtés.

Mario a passé deux ans dans le groupe de jeu. C’est passé tellement vite… Ensuite est arrivé le jardin d’enfants, puis l’école. J’avais du mal à tenir le rythme!

Au jardin d’enfants et à l’école, ce n’était plus tout à fait pareil. Son sac à dos d’urgence restait à la maison, car ma mère ou moi étions toujours disponibles au besoin. Mario a grandi. Il a gagné en autonomie et a aussi appris à être un peu plus prudent. Même s’il n’était pas toujours en mesure de jauger ses limites. Parfois, il avait des saignements au niveau des articulations, à la suite d’un choc ou spontanément. Avec sa maladie, cela n’est jamais à exclure. Cela lui a valu quelques absences. Mais lorsqu’un problème survenait au niveau du pied ou du genou, nous pouvions tout de même l’emmener. Les encadrants et les enseignants se chargeaient alors d’assurer ses déplacements en poussette ou en fauteuil roulant, afin de préserver ses articulations. Les autres enfants le traitaient avec beaucoup d’égards.

Mais la majeure partie du temps, tout se passait bien, et Mario a appris à lire et à écrire… Il a également commencé à suivre des cours de piano à l’école de musique, ce dont j’étais très heureuse. Quelqu’un de très spécial lui a même offert son premier clavier électronique…

Etant d’un naturel très dynamique, il avait parfois du mal à rester assis. Il adore jouer dehors pour escalader, courir, faire du roller, du vélo, voire skier l’hiver! L’hiver dernier, il s’est même initié au patin à glace. A l’école, Mario a toujours d’excellentes notes au cours de sport. Quant à sa physiothérapeute, elle est très élogieuse à son sujet.

Je ne peux m’empêcher de penser aux conditions de vie des hémophiles par le passé. Souvent, ils ont aujourd’hui une mobilité très limitée en raison de leurs articulations fortement endommagées à la suite de nombreux saignements et douleurs. Par rapport aux enfants hémophiles nés ces vingt dernières années, ils disposaient de possibilités de traitement de piètre qualité, moins nombreuses voire inexistantes. Mario a eu de la chance dans son malheur. Il est bien soigné et encadré. Aujourd’hui, les possibilités de traitement sont telles qu’il est parfaitement envisageable de mener une vie normale et de continuer à se déplacer sans difficulté avec l’âge. C’est un énorme soulagement. J’ai été particulièrement émue lorsque j’ai accompagné Mario à un événement dans une salle d’escalade. Il grimpait avec tellement d’assurance et d’agilité d’une prise à l’autre. Une fois arrivé au sommet, il m’a adressé un large sourire! «Regarde maman!!!  Je suis tout en haut!!!» A mes yeux, cette ascension sonnait comme une victoire: «Nous avons franchi l’obstacle… Regarde, j’ai réussi! Nous avons réussi! Tout va bien!» Ce fut un sentiment très profond. J’étais fière et confiante en l’avenir.

L’école lui réserve encore d’autres beaux moments. Il est en deuxième année. Il excelle dans certains domaines et doit encore progresser dans d’autres. Mais il y arrivera et trouvera sa voie, j’en suis convaincue.

J’invite tous les parents qui s’apprêtent à confier leurs enfants à la crèche, au groupe de jeu, au jardin d’enfants ou à l’école à se faire confiance et à avoir le courage de lâcher prise. Tout ira bien, et nous sommes tous là pour nous aider mutuellement en cas de problème. Cette bouffée d’air frais et cette nouvelle expérience nous ont fait beaucoup de bien, à Mario et moi. Nous vivons des moments passionnants, et je m’émerveille de jour en jour de ces expériences de vie et de ces nouveaux enseignements.

Bien à vous,

Sabine