Arrêter de travailler pour une SEP – Comment faire ?

Comment on en arrive à la « porte de sortie », ou comment on va droit dans le mur. Et ce, tout droit et à toute vitesse. C’est ainsi que ce témoignage pourrait finir, ou commencer. Mais, dans ce cas, ce ne serait pas le témoignage d’une histoire forte, personnelle et pleine de vie sur le thème de la SEP. Ce qui ne signifie pas qu’il faut être toujours forte. Mais je suis en voie d’être forte, et de redevenir forte. Et c’est ainsi que je démarre un nouveau projet. Un projet baptisé « Je ».

Un départ difficile : concilier SEP et tâches quotidiennes

Mais il ne démarre pas encore tout à fait aujourd’hui, mon projet « Je ». Je me sens encore très bouleversée. Je commence donc par faire le point : profession, famille, mener le tout de front est un véritable défi. Avec, en plus, la SEP. Et, apparemment, concilier le tout ne se fait pas tout seul en passant. Je me sens par ailleurs perméable à toutes les émotions, désarmée et sans mon rempart professionnel.

Après être restée quelques jours à la maison avec pour ordre de me détendre pour retrouver mon calme et me faire du bien, je retourne au travail. Je pensais que j’allais déjà bien et je voulais avoir un entretien avec mon supérieur pour établir mon tableau de service à venir. J’avais eu du temps pour réfléchir et je savais que cela ne pouvait plus continuer : travail posté, astreintes, un volume de travail hebdomadaire trop important et des équipes en sous-effectifs. Avec, en plus, toujours ce sentiment frustrant de ne pas pouvoir fournir la qualité requise. J’étais heureuse de, au moins, ne pas avoir nui au patient.

Par ailleurs, j’étais plus sensible qu’à l’habitude. Les questions d’éthique, en fait, sont toujours présentes dans mon travail, mais j’ai appris à les aborder avec professionnalisme sans laisser la place aux émotions. Pourtant, pendant cette phase, maintenir mon rempart professionnel me demandait énormément d’énergie.

Mon chef m’aurait presque devancée. Il était drôlement content que je lui demande « volontairement » rendez-vous et aussi avec le service du personnel. Il avait effectivement peur de m’informer qu’il serait peut-être bon d’avoir un entretien. En effet, je l’avais déjà prié de ne pas me demander continuellement comme j’allais, il devait savoir que, si je venais travailler, c’était que j’allais assez bien pour cela. Et j’avais dû lui promettre de m’adresser à lui avant que ce soit trop tard. Eh bien, trop tard. J’avais mon rendez-vous. Je voulais pouvoir trouver comment organiser à l’avenir mon travail, quelles possibilités j’avais et comment me réorienter ou comment faire une formation complémentaire. Donc me tourner résolument vers l’avant.

Un soutien venu de l’extérieur aide à s’orienter

Se réorienter, cela peut signifier beaucoup de choses. Mais il faut pour cela commencer par choisir une direction quelconque. Je découvre qu’il est bon de recevoir de l’aide, et de l’accepter.

Je l’avais vu venir : pas si simple de se « réorienter » pour se tourner à nouveau vers l’avant. Lancer un coup d’œil rapide et planifier l’étape suivante ? Grosse erreur ! S’en suivit la mise au point numéro deux : dans un entretien constructif qui dura plus de deux heures, on m’a fait clairement comprendre où j’en étais actuellement. La case manager m’a montré comment elle voyait les choses : le « ici et maintenant » représenté par une barre et, côte à côte, le « théorique » et le « réel ». Ma capacité, mes ressources à côté des performances que je voudrais fournir et apporter.

Oh, j’étais surprise, j’étais choquée : un gros fossé entre les deux. Ses paroles, sa bienveillance pour m’exposer, me questionner et m’expliquer m’ont atteinte comme un coup dans le dos devant un gouffre. Je me voyais déjà en chute libre, jusqu’ici encore j’avais mis l’élastique avant de sauter. Je crois qu’il vaut mieux que je saisisse le parachute qu’on m’offre, aujourd’hui et ici-même.

Je vacille : c’est vraiment comme ça ? Et peu à peu, je comprends l’image qui se dessine. Tout s’assemble et explique beaucoup de choses. Je me sens comprise, pour la première fois depuis longtemps. Je ne sais plus quand j’ai pleuré pour la dernière fois. Et les voilà qui coulent, les larmes. Puis, à un moment ou un autre, je ne suis plus que seulement bouleversée. Et alors, maintenant ? Je ne suis même plus capable de planifier l’étape suivante.

Jusqu’ici, j’ai fait mon travail, à l’hôpital, à la maison, toujours bien. Aucune plainte. Enfin, à la maison, si, quand même, parce que je suis fatiguée et lunatique. Souvent impatiente envers moi-même et tous, ce qui me revient comme un boomerang. Ça me rend malheureuse, me donne mauvaise conscience. Je ne suis pas comme ça !

Planifier la suite

Je ne peux pas, je me sens incapable et je sais aussi que je n’y arriverai pas seule. Bien que j’ai déjà été repoussée, je vais essayer encore une fois. Mais je ne veux pas ennuyer ma famille avec. Alors, comment régler le problème ?

D’accord, maintenant, on arrête tout. Stop. Et pourtant je me trouve en plein brouillard. Je vois briller les feuilles dorées, j’y vois ma famille en randonnée, mais je ne peux pas m’y voir. Je n’arrive pas à suivre. Et, en plus, j’ai mauvaise conscience : pourquoi est-ce que je me sens comme ça ?

Qu’est-ce qui s’est passé ? Quand ai-je perdu le contrôle ? Ce qui s’est passé ? Je ne peux faire que des suppositions, ou plutôt je le sais très bien. Je me suis imaginée que je pouvais simplement continuer comme toujours. Ce n’est pas le diagnostic qui a déclenché le vol plané dans le brouillard, il aurait pu être un panneau indicateur. Il aurait pu être l’occasion d’ajuster le tir, dans la vie, de ne pas me soumettre. Mais au contraire l’occasion de respecter le fait que mon corps a peut-être besoin d’un peu plus d’énergie que celui d’une personne en bonne santé.

Est-ce que je me mets moi-même encore des bâtons dans les roues avec mes connaissances professionnelles ? En fait, je n’ai pas encore été jusque-là une patiente. Là encore, il me faut une théorie pour comprendre le pourquoi et le comment, et j’espère le comprendre.

Une fois, une amie m’a parlé de la « Spoon Theory » (théorie des cuillères) de Christine Miserandino. Je m’y suis intéressée une fois de façon superficielle et j’ai trouvé que c’était très clair, une image géniale. Selon elle, chaque individu a dix cuillères qui symbolisent l’énergie dont chacun dispose pour une journée. À partir de là, il revient à chacun de savoir les gérer. Notamment les malades chroniques ont, selon leur situation du moment, besoin déjà d’une cuillère pour sortir du lit, deux pour la toilette du matin et une autre pour faire la cuisine. Encore une pour passer un coup de téléphone important et ainsi de suite.

Alors maintenant, je me remets toujours les cuillères en mémoire. Comme c’est vrai ! Quand j’aide les enfants à prendre leur bain, je me demande combien de cuillères je peux dépenser pour cela. Parce que, sinon, je n’en aurai plus pour prendre ma douche et on n’est même pas encore arrivé à la fin de la journée.

Cercher conseil et accepter de l’aide

Accepter de l’aide devient plus facile quand on se sent compris. J’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un qui m’a proposé une aide professionnelle quand je n’avais pas osé en demander.

À partir de maintenant, je me sens très bien conseillée par la case manager. Elle continuera à m’accompagner et sera là pour répondre à toutes mes questions. Je ne suis pas seule perdue dans la forêt. Elle me conseille de faire une réadaptation. En stationnaire ! Commeeeeent ? Impossible ! Elle comprend bien que je ne puisse pas m’imaginer que cela soit possible avec une famille. En ambulatoire dans le cadre d’un programme, me propose-t-elle, de façon déjà très concrète avec des adresses et la marche à suivre. Elle comprend très bien que je ne sois pas capable de tout prendre en main et d’agir.

Mais de la réadaptation, moi ? Comment pourrais-je organiser cela avec les enfants ? Et un tas de questions se précipitent : comment, quand et où ? Et en plus, je ne peux quand même pas être partie tous les jours pendant deux mois ! J’ose à peine décrire la situation à mon mari, ne croyant pas moi-même que ce soit la seule et unique solution. Je trouve par ailleurs que ce serait égoïste de ma part. Je vois le stress au point de vue organisation avec des enfants et un ménage à tenir. Alors je cherche d’autres options : dois-je tout prendre moi-même en main ? Un cours de yoga ou du training autogène, continuer la physiothérapie et chercher une psychologue, et là, déjà, j’abandonne. Et comment je vais pouvoir coordonner tous ces rendez-vous ? Très, très illusoire.

Donc je n’en ai tout simplement pas besoin. Ou peut-être que si ?

Ma famille, mon soutien

La famille est à la fois un soutien et un miroir. Je sens que tous ressentent les changements dans la vie de tous les jours : tout d’un coup, Maman reste à la maison. Mais pas de changement quant à mon état. Je suis soulagée que la pression soit tombée, mais je n’arrive pas à sortir du mode de test permanent.

Bien qu’en congé de maladie, je n’arrive pas à m’organiser. Mon état n’a pas changé après une phase initiale d’« euphorie d’amélioration ». J’ai du mal à décider de m’inscrire pour une réadaptation. Jusqu’à ce que mon mari mette les points sur les i : « Cela nous ferait du bien à tous si tu allais mieux et si tu redevenais toi-même. » On ne peut être plus clair. Sur le coup. Mais après j’ai demandé : « Tu serais pour que j’y aille ? Pour m’aider à tout organiser ? Pourquoi est-ce que j’en ai douté ? »

C’est ainsi que je suis allée pour mon premier rendez-vous à la clinique psychosomatique. J’y suis rentrée après deux entretiens préliminaires parce que j’avais encore du mal à accepter du premier coup. Mais les enfants étaient le moindre des problèmes : ils ont sauté de joie quand ils ont appris que, pendant un certain temps, ils pouvaient rester le midi chez leur nounou, laquelle avait tout de suite accepté. J’aurais aussi pu demander plus tôt ! Et puis heureusement, il y a les quatre grands-parents qui proposent leur aide.

Que j’accepte. Oui, encore avec mauvaise conscience de me décharger de tout sur les autres pour prendre « du bon temps ». Je sais que c’est quelque chose que je vais devoir encore apprendre. Mais, désormais, le premier pas est enfin fait. « Je » démarre.